ANALYSE
FONCTIONNELLE | ANALYSE COMPLEXE | TOPOLOGIE | THÉORIE
DE LA MESURE
19.
THÉORIE
DE LA MESURE (ET DE L'INTÉGRATION) |
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LISTE DES SUJETS TRAITÉS SUR CETTE PAGE
La mesure, au sens topologique, va nous permettre
de généraliser la notion élémentaire
de mesure d'un segment, ou d'une aire (au sens de Riemann, par
exemple) et est indissociable
de la nouvelle théorie de l'intégration que Lebesgue
mettra en place de 1901 à 1902 et que nous allons aborder ici afin
de construire des outils mathématiques beaucoup plus puissant
que l'intégrale
simple de Riemann (cf. chapitre de Calcul
Différentiel Et Intégral).
La théorie de la mesure va également nous permettre de définir
avec rigueur le concept de mesure (peu importe la mesure de quoi)
et ainsi de revenir sur des résultats importants de l'étude des
probabilités (cf. chapitre de Probabilités).
Effectivement, nous allons voir (nous définirons
le vocabulaire qui suit plus loin) pourquoi (U, A, P)
est un "espace de probabilités" où A est au
fait une tribu sur U et P une mesure sur l'espace
mesurable
(U, A).
Avertissement: Le niveau d'abstraction et de volonté requis
pour la lecture et la compréhension de ce chapitre est assez élevé.
Il faut être à l'aise
avec les notions vues en théorie des ensembles ainsi qu'en
topologie.
ESPACES MESURABLES
Quand en mathématiques, nous dérivons, intégrons
ou comptons, nous effectuons de manière implicite une mesure
d'un objet ou ensemble d'objets. Rigoureusement, les mathématiciens
souhaitent définir
comment peut être structuré la chose mesurée,
comment faire une mesure de celle-ci et les propriétés
en découlant!
Définitions:
D1. Soit E un ensemble, une "tribu"
(ou "σ-algèbre")
sur E est une famille
de parties de E vérifiant les axiomes suivants:
A1. (voir
exemples plus bas - E étant considéré comme élément)
A2. Si A est un élément d'une tribu alors
.
Ce qui signifie que
est "stable par passage au complémentaire".
Cet axiome implique que l'ensemble vide
est toujours un élément d'une tribu!
A3. Pour toute suite
d'éléments de
nous avons
. Nous disons alors que
est "stable par union dénombrable".
Par exemple, la graduation d'une simple règle de mesure... satisfait
ces trois axiomes.
Remarques:
R1. Nous écrivons
car nous considérons avec cette notation E non
plus comme un sous-ensemble de
mais comme un élément de !
R2. Les cas non dénombrables sont typiques de la topologie,
de la statistique ou du calcul intégral!
D2. Le couple
est appelé "espace mesurable"
et nous disons que les éléments de
sont des "ensembles mesurables".
D3. Si dans le troisième axiome nous imposons
que
soit
stable par union finie (non dénombrable)
nous imposons alors la notion plus générale
"d'algèbre". Ainsi, une tribu
est nécessairement contenue dans une algèbre (mais
le contraire n'est pas vrai car justement l'axiome est plus fort).
Remarque: Dans
le domaine des probabilités, E est assimilé à l'Univers
des événements et  à
une famille d'événements et nous parlons " d'espace
probabilisable"
ou... " d'espace mesurable".
Exemples:
E1. Soit
un ensemble de cardinal 2. Les deux seules tribus
qui satisfont les trois axiomes sont:
(19.1)
Il n'y a pas d'autres tribus
pour l'ensemble E donné que ces deux (la grossière,
et la maximale), car il ne faut pas oublier que l'union de chacun
des éléments
de la tribu doit aussi être dans la tribu (axiome A3), ainsi
que le complémentaire d'un élément (axiome
A2).
Nous voyons par ailleurs de cet exemple que si E est
un ensemble
est bien une tribu!
E2. L'ensemble des parties de E, noté
est aussi une tribu (dixit l'exemple 1).
Une tribu
est aussi "stable par union des complémentaires
dénombrables". En effet si
est une suite d'éléments de
nous avons (trivial en prenant comme référence l'exemple E1):
et
(19.2)
Une tribu est aussi "stable par intersections
dénombrables" (trivial en prenant comme référence
l'exemple E1):
(19.3)
ce qui amène à ce qu'une tribu est stable par unions
et intersections dénombrables. En particulier, si nous
prenons deux éléments d'une tribu
alors .
Avec pour rappel (cf. chapitre de Théorie
Des Ensembles):
(19.4)
Remarque: Nous voyons aisément avec l'exemple E1
que si

est une famille de tribus sur E alors

est une tribu (la vérification des trois axiomes est immédiate)
Bon c'est bien joli de jouer avec des patates et sous-patates...
et leurs complémentaires mais passons à la suite.
Définition: Soit E un ensemble
et
une famille de sous-ensembles de
tel que .
Soit
la famille de toutes les tribus contenant (entre autres) .
n'est évidemment pas vide car .
Nous notons par définition:
(19.5)
la "tribu engendrée"
par .
est
donc par définition la plus petite tribu contenant (et
par extension la plus petite tribu de E).
Voici deux exemples
qui permettent de vérifier si ce qui précède
a été compris et qui permettent de mettre
en
évidence des résultats importants pour la suite.
Exemples:
E1. Soit E un ensemble,
et
alors (lorsque A est vu comme un sous-ensemble de E
comme le précise l'énoncé et non comme une
famille de sous-ensembles!):
(19.6)
E2. Si
est une tribu sur E alors:
(19.7)
E3. Soit
et
nous avons dès lors (prenez bien garde car maintenant A
est une famille de sous-ensemble et non simplement un unique
sous-ensemble!) la tribu engendrée suivante:
(19.8)
Plutôt que de déterminer cette tribu en cherchant
la plus petite tribu de
contenant A (ce qui serait laborieux) nous jouons avec
les axiomes définissant une tribu pour facilement trouver
celle-ci.
Ainsi, nous trouvons donc bien dans
au moins l'ensemble vide obligatoire
ainsi que:
(19.9)
selon
l'axiome A1 et:
(19.10)
lui-même
par définition
de
et les complémentaires de:
(19.11)
selon
l'axiome A2 ainsi que les unions:
(19.12)
selon
l'axiome A3.
Définition: Soit
E un espace topologique (cf. chapitre
de Topologie).
Nous notons
la tribu engendrée par les ouverts de E.
est appelée la "tribu borélienne" sur E.
Les éléments de
sont appelés les "boréliens" de E.
Remarques:
R1. La notion de borélien
est surtout intéressante car elle est nécessaire à la
définition
de la "tribu de Lebesgue" et par suite à "la mesure
de Lebesgue" qui nous amènera à définir "l'intégrale
de Lebesgue".
R2. La tribu
étant stable par passage au complémentaire, elle
contient aussi tous les fermés!
R3. Si E est un espace topologique à base dénombrable,
est engendré par les ouverts de la base.
Exemple:
Si
désigne l'espace des réels muni de la topologie euclidienne
(cf. chapitre de Topologie), la famille
des intervalles ouverts à extrémités rationnelles
est une "base dénombrable"
(étant données les extrémités...) de et
donc engendre .
Même remarque pour ,
,
avec comme base dénombrable la famille des pavés
ouverts
à extrémités rationnelles.
Considérons
maintenant
un ensemble dense (cf. chapitre de Topologie)
dans .
Les familles suivantes engendrent :
; ; ;
(19.13)
Démonstration:
Soit (la famille des ouverts):
(19.14)
Nous avons évidemment:
(19.15)
De plus:
(19.16)
Donc les intervalles du type [a,b[ avec
a et b dans
appartiennent aussi à .
Donc, si nous généralisons, avec ,
il existe une suite
d'éléments de
décroissant vers x et une suite
d'éléments de
croissant vers y tel que:
(19.17)
ce qui entraîne au même titre (que )
que .
Les autres cas se traitent de manière analogue.
C.Q.F.D.
Soit
un espace mesurable et (et
)
(où A
est donc considéré comme un sous-ensemble et
non comme un élément
!). La famille est
une tribu sur A appelée "tribu
trace" de
sur A,
nous la noterons .
De plus, si ,
la tribu trace est formée par les ensembles mesurables
contenus dans A.
Démonstration: Nous allons faire une démonstration
par l'exemple (...). Nous vérifions les trois points de
la définition d'une tribu:
1. 
2. Soit
et donc 
Exemple:
Soit
alors (une tribu parmi d'autres - ne pas oublier la stabilité par
union !):
(19.18)
Choisissons (il
est évident que est
une tribu sur A).
Dès lors:
(19.19)
et nous avons bien
ainsi que .
3. Soit une
suite d'éléments de
alors:
(19.20)
La dernière assertion de la proposition sera supposée
évidente.
C.Q.F.D.
Soit maintenant E un ensemble,
une famille de parties de E et
non vide. Nous notons
la trace de
sur A
et
la tribu engendrée par
sur A.
Alors:
(19.21)
Exemple:
Soit l'ensemble , , alors:
(19.22)
Et vérifions :
(19.23)
Donc l'égalité est vérifiée.
Un corollaire trivial
de cette égalité est que si nous considérons
un espace topologique E et
muni de la topologie induite. Alors:
(19.24)
Rappelons (cf.
chapitre de Théorie Des Ensembles) que si nous
avons E qui est un
ensemble, alors pour tout
nous définissons la différence symétrique
entre A
et B par:
(19.25)
Les propriétés triviales
sont les suivantes:
P1. Une algèbre est stable par
différence symétrique (
nous avons )
P2. 
P3. 
P3. 
Si
est une algèbre sur E,
alors
est un "anneau de Boole" (ou
algèbre de Boole
mais attention avec le terme "algèbre" qui peut prêter à confusion
avec la théorie des ensembles) avec
et E comme élément neutre "additif" ( )
respectivement "multiplicatif" ( ).
Pour des rappels sur les éléments cités dans
le paragraphe précédent,
le lecteur pourra se reporter au chapitre de Théorie
Des Ensembles et le chapitre d'Algèbre
De Boole (cf. chapitre de Systèmes
Logiques Formels)
Démonstration:
("addition") est associative car en développant nous obtenons
(cela se vérifie en faisant un diagramme sagittal au besoin
- les "patates"):
(19.26)
et cette
dernière
expression est stable par permutation (commutation) de A et C (même
méthode de vérification). Donc:
(19.27)
Nous vérifions
que
est bien neutre par rapport à la différence symétrique
(la démonstration que E est neutre
par rapport à l'inclusion est évidente).
Il est trivial que:
et que
(19.28)
est donc bien un groupe abélien par rapport à la loi
(différence symétrique).
C.Q.F.D.
Pour finir
est distributif par rapport à .
En effet:
(19.29)
Ce qui fait bien de
un anneau (qui de plus est un anneau commutatif).
THÉORÈME
DE LA CLASSE MONOTONE
Définition: Soit
E un ensemble. Une "classe
monotone" sur E est une famille
de parties de E vérifiant:
A1. 
A2.
et 
A3. Si
est une suite croissante (attention au terme "croissant") d'éléments
de
alors
(stable par union dénombrable croissant)
Remarques:
R1. Une suite croissante d'ensembles
c'est: 
R2. Les deux premiers points impliquent
que
est stable par passage au complémentaire.
R3. Les axiomes (2) et (3)
(plus le (1)) amènent que la classe monotone est stable par intersection
décroissante.
Une manière de vérifier c'est de prendre le complémentaire de chaque
élément de la suite croissante pour tomber sur la suite décroissante
et inversement.
R4. L'axiome 3 des classes monotones étant un peu plus
restrictif (plus "fort") que l'axiome 3 des tribus (puisque
nous y imposons une suite croissante). Cela implique que toute
tribu
est une classe monotone (toute union dénombrable de la tribu
étant dans la tribu ce qui est une condition plus forte
que la suite croissante) !
De la même manière que pour les tribus, si nous
considérons
une famille
de classes monotones sur E. Alors
est une classe monotone (la démonstration se vérifie
immédiatement par les trois axiomes précédemment
cités).
Exemple:
Si E est un ensemble,
est une classe monotone sur E.
Plus généralement, une tribu est une classe monotone.
De manière équivalente
aux tribus, considérons un ensemble E et .
Soit
la famille de toutes les classes monotones contenant .
n'est pas vide car .
Nous notons:
(19.30)
la classe monotone engendrée par .
est
la plus petite classe monotone contenant
(et satisfaisant bien évidemment aux axiomes).
Remarque: Si E est un ensemble et  alors
 ,
car 
est une classe monotone (et aussi une tribu) contenant 
et donc elle contient aussi 
(voir les exemples avec les tribus).
Le théorème (de la classe
monotone) s'énonce ainsi: soit
E un ensemble. Si
est une famille de parties de E que nous
imposons stable par intersections finies alors (nous
devons donc prouver que la tribu minimale de
est égale à la classe monotone minimale de ).
Si nous n'imposons pas que
soit stable par intersections finies nous n'aurions pas nécessairement
l'égalité.
Démonstration:
comme
déjà dit (c'est quasiment trivial). Nous allons
montrer dans un premier temps que
est donc aussi une tribu sur E.
Pour ceci il suffit de montrer que est
(aussi) stable par union dénombrable (et non nécessairement
par une suite croissante d'éléments!).
Considérons les familles suivantes
pour la démonstration:
(19.31)
(19.32)
Par les définitions
précédentes
mais
étant (imposé) stable par intersections finies entraîne
et donc (c'est le même raisonnement que pour les tribus):
(19.33)
est une classe monotone en effet ,
si
et que
(axiome 2) alors:
(19.34)
et donc (ce qui appuie le fait
que les autre éléments
satisfont la relation précédente):
Si
est une suite croissante d'éléments de
alors:
(19.35)
car
est une suite croissante.
Ainsi
est bien une classe monotone et par , nous avons donc:
(19.36)
Cette dernière
égalité implique .
Comme pour ,
nous montrons que
est une classe monotone et donc ,
ce qui veut dire par extension que
est donc stable par intersections finies.
étant stable par passage au complémentaire ceci entraîne
que
est, nous venons de le montrer, stable par unions finies (alors
que nous voulons démontrer que c'est stable par union dénombrable).
Soit à présent
une suite
d'éléments de .
Nous considérons la suite:
(19.37)
est une suite croissante d'éléments de ,
donc:
mais (19.38)
Donc:
(19.39)
Ainsi
est stable par union dénombrable et enfin
est une tribu. Or comme
cela nous amène donc à .
C.Q.F.D.
Nous verrons plus tard quelques applications
importantes de ce théorème.
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